Ce qui se trame

Ce qui se trame

huile sur toile 100×100 cm

Je me rappelle une incursion dans la forêt équatoriale du Congo, il y a trente ans. Nous étions à Mbandaka avec un ami à attendre en vain le bateau-ville flottante qui aurait dû nous ramener à Kinshasa. Pour tromper l’attente nous décidâmes de visiter la forêt, territoire des Pygmées. Ceux-ci, lorsqu’ils s’aventurent en ville sont traités par les Bantous comme des sous-hommes. Nous avions demandé au chauffeur de taxi (un Bantou) de nous conduire au hasard jusqu’au bout d’une des pistes qui s’enfoncent dans le pays pygmée. Au fur et à mesure que nous avancions, le chauffeur devenait plus nerveux. La piste s’arrêta dans un village pygmée où je sollicitai le Chef afin qu’il nous fasse découvrir les alentours moyennant un cadeau pour le village… Nous voici parti, deux hommes à la machette ouvrant le chemin et deux hommes à machettes fermant la queue leu leu du chef, du sorcier, de mon ami et moi et du chauffeur de plus en plus nerveux dans la moiteur étouffante de la forêt primaire. Le chef nous présenta aux morts du village dont les esprits reposaient dans de minuscules maisons colorées disséminées sous les arbres. Puis nous nous enfonçâmes dans une espèce de marigot entre des racines énormes, des troncs infinis et des cris d’animaux inconnus de nous. Mais après une vingtaine de minutes de marche des hurlements retentirent à l’arrière. Notre chauffeur gesticulait en tous sens comme secoué de décharges électriques tandis que les deux Pygmées de fin de cortège semblaient résolus à le découper en morceaux. Notre chauffeur, en ville si méprisant envers eux, était ici pris de folie panique, dominé par les esprits complices des hommes de la forêt. Il fallut négocier son salut avec le Chef et abréger notre visite pour éloigner notre taxi bantou de la magie des forêts.Car tout fait signe dans la forêt. Les formes, les traces, les bruits, les cris, les craquements, les bruissements, les dessins changeants de lumière et d’ombre, les étranges contrastes de couleurs… Qui a dormi seul en forêt connaît ces fanfares de signaux. Chez nous, les Druides en tiraient les secrets de la divination.