Forêt
huile sur toile, 89×116 cm
A cinq contre un, la partie n’est pas égale. Mais le renard est malin.
Peintre
A cinq contre un, la partie n’est pas égale. Mais le renard est malin.
Avec la modification en cours de notre conception de la nature, modification induite par l’imminence de sa stérilisation et la prise de conscience des effets de la disparition accélérée de nombreuses espèces, la symbolique traditionnellement attachée , selon telle ou telle culture, à tel ou tel animal se défait peu à peu. La chauve-souris des cauchemars de Goya désormais nous protège de l’invasion des moustiques et d’autres insectes. Sur le lac de mon village, à la tombée du jour, il faut voir les pipistrelles mener le bal…
Comment voir la « nature » sans la réduire à un en-face, un objet, au fond à la disposition du sujet? Comment peindre un paysage sans en faire le référent inerte d’une représentation (qu’elle soit impressionniste, expressionniste ou tout ce qu’on veut)? Je me suis posé cette question lors de mon précédent tableau: au bord du Volp. Peindre le paysage en étant pris dedans, et non depuis l’extériorité d’un sujet devant son objet… Avec ce tableau la question devient: comment peindre le vivant ? Peindre le vivant sans le réduire à un « étant », à une chose… Une tourterelle par exemple. La philosophie existentiale considère que l’humain seul est-au-monde. Seul au milieu des étants qui eux n’auraient pas de monde. Mais si aucun vivant n’est séparable de l’ensemble des vivants qui composent ce qu’on appelle encore, faute de mieux, la nature, alors ne peut-on penser que tout vivant est-au-monde? Ici pourrait commencer le respect.
Mon jardin est au bord du Volp. Rivière ou torrent, selon l’humeur et les précipitations, presque ruisseau au plus chaud de l’été, le Volp a néanmoins creusé sa vallée. Mon jardin longe sa rive gauche et entre deux prunus j’allonge parfois un hamac. Le ciel est dans l’eau, la berge aussi. Les poissons, cabots et sofies, glisssant incognito sous les reflets, font des ronds en gobant des éphémères : voilà ce que je vois.
C’est une coin de verdure où coule une rivière. Les hérons y paressent ou pêchent le goujon. Des cravates sur pieds y rêvent d’autoroute. Quatre voies de béton contre les écureuils et des casques sans plumes pour chanter la chanson du progrès. Il paraît qu’y a qu’ça de vrai: défoncer le paysage pour arriver plus vite. Où?
Je cherche à voir le paysage. Mis à part Léonard, la peinture renaissante et classique l’appréhendait du point de vue de la forme avec, en quelque sorte, le regard d’une statue grecque. L’impressionnisme l’a approché par la lumière. L’expressionnisme à travers la défiguration émotionnelle. L’art moderne avec le regard du citadin et sa vision éloignée en masses. Cézanne et De Staël ont peint de splendides paysages modernes. Balthus, dans ses paysages italiens a tenté de concilier les visions moderne et classique. Celle des paysagistes professionnels calcule plus qu’elle ne voit. Quelle est la nôtre? Je ne sais pas. Ici, au jardin, nous oscillons entre le striptease photographique, l’impression lumineuse, le désir de la forme et le pressentiment de sa dislocation. Entre le corps du paysage et le paysage du corps.
To see or not to see, that is the question :
« Le but de l’art figuratif n’est pas de doubler le réel appréhendé dans sa totalité, mais de fixer des valeurs spatio-temporelles, c’est-à-dire sélectives, correspondant à la mémoire commune d’un certain groupe et à la capacité d’intervention de ce groupe sur l’ordre physique et sur l’ordre humain qui l’entoure. » Pierre Francastel in « L’image, la vision et l’imagination ». Nos satellites voient tout mais ils ne verront jamais un paysage. Le GPS (le Géo-Positionnement Satellitaire) programme nos transits mais le paysage ne transite pas lui, il change d’un instant à l’autre du même point ou d’un autre. Les satellites sont bien aveugles pour nous diriger.
Peindre une « nature morte », voilà une bonne raison d’ouvrir une V.O. de Selosse. Et si j’en crois mes papilles, cette nature n’est pas morte du tout! D’ordinaire je ne suis pas grand buveur de Champagne, mais un vin de Selosse ce n’est jamais ordinaire et c’est déjà une oeuvre d’art…
J’ai commencé par peindre ces trois oignons. Le tableau ne tenait pas debout. Car le motif ne suffit pas, ni ce qu’on appelle à tort l’imitation. C’est la peinture qui commande. J’ai ajouté le pinceau donc. Ainsi ça tient. Car c’est le pinceau qui fait exister l’espace du tableau.
Que Chuck Berry me pardonne ce titre. J’ai savouré la moitié de cette salade au déjeuner, j’en ai gardé le coeur pour l’atelier. La scarole est fragile, il faut aller vite avant que ne s’affaisse sa cascade de feuilles. On en mangerait, j’espère…
Dans mon petit atelier parisien, je me consacre aux « natures mortes ». S’attaquer à une pomme après Cézanne, c’est risqué, voire perdu d’avance. Néanmoins, il faut bien tenter le diable, sans quoi il n’y a pas d’art qui tienne. Le peintre Carlos Pradal me disait en substance, ce qu’il tenait de son professeur Bergounian: l’essentiel est dans le vide autour de l’objet. Evidemment, un peu de l’esprit de Carlos est peut-être passé là dans ma main…
Il y a de jolis poivrons bien pétards au marché. J’ai eu envie d’en peindre. Je les ai choisi en respectant le code de la route. La décontextualisation dans la réalisation d’une nature morte est un procédé que, si je ne m’abuse, le dix-septième siècle a bien su employer. Hors contexte de la cuisine, de la remise ou de la table à manger, fruits ou légumes prennent une dimension existentielle. On ne voit qu’eux, il n’y a qu’eux à voir. Dans leur présence de matière de couleur et de forme. Les Espagnols ont su faire de la métaphysique avec les natures mortes. Moi qui suis Français et donc un peu taquin, je nous ai mis la note, payée sans contact s’il vous plait.
Cette nature pas si morte j’espère, est dédiée à feu mon ami Henry Frédéric Roch.
Lever de soleil au premier jour de printemps. L’Ariège est un beau pays.
C’est le titre d’un excellent film cubain des années 80. Mais comme je suis peintre au 1er degré, je vois des fraises et du chocolat. Un petit panier de fraises comme on en trouve en primeur en ce moment, les premières de la saison. Ça donne envie de croquer. C’est fait. Et un carré de chocolat noir avec, c’est un bon contraste, simplement nature.
Il en faut pour grandir. Au peintre comme aux autres. On la compose et on attaque les légumes. Il faut les saisir, c’est plus goûteux. On stylise ou on affine jusqu’à l’épluchure. Les carottes viennent facile dans l’orange. Le violet blanc des navets est plus coriace, plus géographique. Le poireau s’émince entre la surface et le fil. Le fond porte la lumière et les matières. Depuis que j’ai regardé vraiment les tableaux de Chardin, je voulais faire une nature morte. C’est comme si le regard se pacifiait. Un plaisir de philosophe. J’en ferai d’autres.
Mon admiration pour l’oeuvre de Manet ne fait aucun doute. Comme lui, je crois qu’une des dimensions majeures de la peinture nous est révélée par Velasquez. On sait le goût de Manet pour une certaine provocation. A ce jeu je lui rend humblement hommage avec ce déjeuner sur l’herbe où ce sont les hommes qui sont nus et une femme qui regarde. D’où le sous-titre. Peindre la lumière et les reflets de la rivière fut un grand plaisir. La photo du tableau est mauvaise, la couleur est voilée à droite, je la referai c’est promis.
J’ai peint cette toile en mémoire de ces moments d’épuisement et de plaisir que nous connûmes, mon neveu que j’avais embauché, un ancien étudiant devenu un ami venu nous aider et moi, lorsque nous construisions un étage de plus à ma maison, en plein mois d’août sous un soleil de plomb. Vers midi, quand la chaleur devenait impossible, brûlants, sales et en sueur, nous nous jetions tout nu dans l’eau fraîche du Volp, le torrent que domine ma maison. La lumière était si belle que j’ai fait une photo pour marquer la scène. Deux ans plus tard est né ce tableau. Un format assez imposant permet d’entrer aisément dans le sous-bois. J’ai peins sous les arbres en train de venir à la pointe du pinceau ou de la gouge de la brosse. J’étais dedans. Je retrouvais la scène avec sa fraîcheur tiède d’eau ombrée, sa volupté tranquille d’y être nus, sa convivialité d’Eden. Et j’ai ajouté le regard de ma compagne par l’incarnation picturale soudaine de ses jambes. A-t-elle pris la photo? Non. Et pourtant elle regarde.
à Carlos Pradal
Je traversais le jardin du Palais Royal à Paris à l’instant où une meute de pigeons se battait pour un reste de sandwich abandonné dans une de ces poubelles de parc en corolle métallique tendue d’un sac plastique transparent anti-attentat. Quelque chose comme une fleur de pigeons gris-bleu. Le sol soigneusement ratissé renvoyait la lumière: peu ou pas d’ombre mais des volatiles découpés, chacun pour soi, pour prendre sa part du gâteau. Peu de couleur, tout en valeur. Ce qui est assez parisien, pour reprendre une expression de Vian. En bas à droite, sur le sol, on distingue une craie de billard. Une de ces craies bleues qui servent à apprêter les pointes de canne. Un regard plus scrutateur aperçoit une pointe de rouge et une pointe de jaune au fond de la poubelle : cela pourrait bien être des boules de billard. C’est pourquoi ce tableau salue mon défunt ami le peintre Carlos Pradal. Il fonctionnait par séries. Il a peint une série de pigeons et une autre de joueurs de billards. Et cette petite craie bleue, comme il me l’avait enseigné, vient équilibrer le tableau.
Le matin tôt, en moto dans la fraîcheur d’été. Au sortir d’un virage, une mer de nuage et le village de Quillan qui émerge des vapeurs. Technique impressionniste pour une sensation de motard.
au-dessus de Vielha
Une randonnée en montagne m’a donné deux tableaux. Celui-ci et « Parmi les pierres », un nu de plus grand format. Le challenge, c’était la roche et le plaisir manifeste de la randonneuse.
qui suis-je?
Cette vache m’a parlé. Elle m’a demandé qui elle était pour me parler. J’ai essayé de lui faire un dessin mais ça a fait une peinture. Comme toujours je me demande comment j’ai pu peindre comme ça à la brosse légère, en deux temps trois mouvements. La technique est assez impressionniste mais la lumière est arrêtée par l’animal. Une vache ça se maçonne, c’est un grand corps lourd mais il fallait lui trouver le regard. Essayez de peindre le regard d’une vache, vous verrez. Il ne faut pas qu’aimer les steaks! Car c’est vivant le bestiau. Et puis elles le font chier, les mouches!…